Bilan économique de mi-année : perspectives

Anne McLellan et Lisa Raitt

Il y a un peu plus de six mois, lorsque nous avons publié notre deuxième Tableau de bord annuel des principaux indicateurs de l'économie canadienne, nous nous sommes inquiétés de la faiblesse persistante de ces indicateurs, qui menaçait de compromettre notre prospérité future. Nous avons demandé aux décideurs politiques de faire preuve de diligence.

Depuis lors, nos inquiétudes n'ont fait que s'accentuer - tant en ce qui concerne les perspectives que la réponse politique.

En ce qui concerne les mesures les plus importantes du niveau de vie - la production par habitant, la productivité de la main-d'œuvre et l'égalité - nous allons dans la mauvaise direction. En matière de politiques, nous avons vu quelques avancées pour stimuler les investissements verts, mais nous attendons toujours que le gouvernement mette son plan en œuvre. Nous avons également constaté l'apparition de nouveaux signaux d'alerte qui constituent une source d'inquiétude supplémentaire. 

Examinons tout d'abord quelques-uns des principaux indicateurs économiques.

PIB et productivité

Selon les données par habitant, notre économie n'est pas seulement dans l'impasse, elle se contracte. Le PIB réel par habitant a chuté au cours de l'année écoulée plus rapidement qu'à n'importe quel moment depuis au moins six décennies en dehors d'une récession, et nous produisons moins par personne aujourd'hui qu'en 2018.

Il ne s'agit pas seulement d'une distorsion des chiffres due à la récente augmentation de la population.

La productivité du travail, soit la quantité de production générée par heure travaillée, est encore plus inquiétante. Cette mesure a chuté au cours de 11 des 12 derniers trimestres, et les données sur la productivité pour le premier semestre de cette année sont inférieures à ce qu'elles étaient au cours des six derniers mois de 2014. Si les choses ne changent pas rapidement, nous parlerons bientôt d'une décennie perdue pour la productivité.

Les données relatives à la productivité peuvent sembler obscures, mais elles sont d'une importance déterminante pour évaluer le potentiel de prospérité économique d'un pays. Elles ont l'effet d'une limite de vitesse pour l'économie ainsi que pour les salaires et les revenus. Moins nous sommes productifs, moins nos entreprises seront compétitives. Et si nos entreprises ne sont pas compétitives, elles auront moins la capacité de payer des salaires plus élevés.

À titre d'exemple, nous avons assisté à un rattrapage rapide des salaires au cours de l'année écoulée en raison du resserrement du marché du travail, ce qui a aidé les travailleurs à compenser la majeure partie des augmentations du coût de la vie au cours des deux dernières années. C'est fondamentalement une bonne chose.

Mais on peut facilement prévoir que ces gains salariaux s'estomperont rapidement en raison de la faiblesse de nos résultats en matière de productivité.

Pour ajouter aux inquiétudes concernant les données économiques fondamentales, ces dernières indiquent que les gains récents en matière de résultats sociaux ont également stagné à cause de l'augmentation de l'inflation et des taux d'intérêt.

Les indicateurs en matière de pauvreté sont en augmentation pour la première fois depuis 2015. Les jeunes familles et les personnes à faible revenu sont les plus durement touchées par la hausse des coûts du crédit et du coût de la vie. La détérioration récente du marché du travail a été particulièrement ressentie par les immigrants récents et les minorités visibles, qui ont vu leur taux de chômage augmenter d'un point de pourcentage au cours de l'année écoulée, soit le double de la moyenne nationale.

Point pivot

Les perspectives, quant à elles, sont nébuleuses. Nous ne pourrons plus compter sur l'argent bon marché pour stimuler la croissance, comme cela a été le cas pendant la majeure partie des deux dernières décennies. En fait, les anciens moteurs de la croissance deviendront de véritables freins dans les années à venir. Les excès du passé, qui ont conduit à des niveaux d'endettement des ménages élevés (parmi les plus élevés au monde) et à des prix de l'immobilier hors de portée, feront désormais office de vents contraires. Les gouvernements seront eux aussi confrontés à un endettement plus important qui limitera la capacité de l'État à alimenter la croissance.

Nos ressources continuent de jouer un rôle prépondérant dans notre économie.

Depuis la pandémie, notre dépendance à l'égard des exportations de matières premières s'est accrue, et non réduite. Les exportations directes de combustibles fossiles - pétrole, gaz et pétrole raffiné - ont généré 170 milliards $ de recettes d'exportation au cours des 12 derniers mois, soit 20 % du total des expéditions à l'étranger.

Mais le statu quo n'est plus viable ici non plus. Nous devons presser le pas vers une économie moins intensive en carbone, et cela va coûter cher.

Investissement

Nous ne cherchons pas à brosser un tableau sombre. Nous souhaitons seulement mettre en lumière les défis à relever afin d'identifier les moyens d'aller de l'avant. Si on regarde les chiffres de plus près, il devient évident que dans un monde où les consommateurs et les gouvernements sont des moteurs de croissance de plus en plus limités et où la productivité est à la traîne, les entreprises devront prendre le relais.

Ne sous-estimons pas la tâche à accomplir. L'anémie des investissements du secteur privé est le talon d'Achille de l'économie nationale depuis des années et une des principales raisons de notre retard en matière de productivité. Tout cela à un moment où les coûts d'emprunt étaient peu élevés. Cette situation a également changé, ce qui rend l'environnement d'investissement encore plus difficile.

La bonne nouvelle, c'est que nous constatons que les entreprises, dont la situation financière est encore relativement bonne, commencent lentement à se mobiliser. Au cours du premier semestre de cette année, l'investissement non résidentiel des entreprises a affiché une augmentation annuelle de 8 % - une croissance solide, de loin plus forte que celle de l'économie dans son ensemble. On observe même des signes de reprise de l'investissement dans le secteur manufacturier, ce qui est bien.

Nous devons redoubler d'efforts pour trouver des moyens de continuer à soutenir cette tendance à la hausse de l'investissement, faute de quoi nous serons en mauvaise posture. Ce qui nous amène à la politique.

Politiques

À la Coalition, nous préconisons que le Canada doit avoir un plan à long terme pour jeter les assises d'une croissance économique inclusive et durable. L'accent est mis sur le long terme.

Nous représentons un groupe diversifié de dirigeants et d'organismes canadiens - du monde des affaires, des milieux syndicaux et de la société civile - mobilisés par l'idée que la croissance économique est une condition préalable à la création d'emplois, à l'augmentation des revenus, à une plus grande équité sociale, à un environnement plus sain et à une meilleure qualité de vie.

Nous évitons de préconiser des propositions politiques spécifiques et de prendre parti dans les débats, car nous comprenons qu'il existe diverses avenues potentielles concurrentes pour atteindre notre objectif.

Toutefois, nous estimons que certains principes de base, tout à fait logiques, s'imposent. En premier lieu, nous pensons qu'une trop grande attention portée aux résultats à court terme ou aux décisions motivées par l'opportunisme politique immédiat menace les perspectives d'avenir. En deuxième lieu, et c'est là un corollaire de ce qui précède, le Canada doit promouvoir un état d'esprit axé sur l'investissement, meilleur moyen selon nous de relever les grands défis et d'améliorer le niveau de vie.

C'est une très bonne façon d'envisager la politique, car elle fournit des repères raisonnables pour la prise de décision. En voici quelques exemples.

Transition climatique

Ne soyons pas trop cavaliers dans notre façon de considérer et de traiter notre secteur des ressources. Sans ces exportations, notre dollar serait plus faible, l'inflation et les taux d'intérêt plus élevés. Sans le pétrole et le gaz, nous serions tous plus pauvres.

Il est donc essentiel que nous menions à bien cette transition, comme pays producteur de ressources.

À cette fin, nous devons accélérer la cadence du virage écologique de notre économie. Une des convictions fondamentales de la Coalition est d'atteindre l'objectif de carboneutralité d'ici 2050, et les données montrent que nous progressons dans cette voie.

Selon les données gouvernementales les plus récentes, en 2021, les émissions de gaz à effet de serre du Canada s'élevaient à 670 mégatonnes d'équivalent dioxyde de carbone, soit une baisse de 53 mégatonnes par rapport aux niveaux de 2019. Cette baisse est attribuable à la diminution de l'intensité des émissions.

Mais il y a encore beaucoup à faire, et la seule façon de concilier un secteur des ressources sain avec nos objectifs de transition climatique sera d'accélérer le rythme des investissements du secteur privé dans les technologies et les infrastructures vertes.

Si le gouvernement fédéral peut utiliser son bilan pour contribuer à ce que l'économie de la transition climatique prenne effet, son aide sera limitée par les demandes concurrentes sollicitant l'argent des contribuables, dans un monde où les taux d'intérêt augmentent. Les entreprises devront s'impliquer et le gouvernement devra trouver des moyens pour concilier le tout.

Nous avons accueilli favorablement la série de mesures fiscales prévues dans le budget de cette année pour stimuler les investissements verts, mais le plus difficile reste à faire.

D'une part, le gouvernement canadien n'a pas encore publié son cadre législatif pour le captage du carbone ni donné suite à sa son plan de simplifier les procédures d'approbation réglementaire - une condition nécessaire pour atteindre les objectifs en matière de climat - est apparemment encore en cours de réalisation.

Conditions d'investissement

Si nous voulons que les entreprises augmentent leurs dépenses d'investissement dans les années à venir - de l'ordre de plusieurs centaines de milliards de dollars - le gouvernement canadien devra créer et favoriser un environnement d'investissement stable. Cela implique des efforts pour réduire les risques, cofinancer des projets ou fournir d'autres formes de certitude en matière de coûts.

Il faudra que tous les partis s'accordent quant aux objectifs fondamentaux, même si nous ne sommes pas tous d'accord sur les politiques spécifiques. Et même dans les débats portant sur certains outils politiques spécifiques, les décideurs doivent veiller à ne pas créer d'incertitudes inutiles, susceptibles de pouvoir freiner les investissements. Un changement de gouvernement ne doit pas porter atteinte à la mise en œuvre d'investissements de plusieurs milliards de dollars.

Pour assurer la stabilité, nous devons également veiller à ce que les communautés autochtones fassent partie du processus, tant pour le secteur privé que pour tous les paliers gouvernementaux.

Un environnement propice à l'investissement implique également de considérer les entreprises canadiennes comme un partenaire et non comme un problème. Nous entendons nos membres exprimer leur inquiétude à l'égard du fait que les politiques sont élaborées pour des impératifs politiques à court terme qui sont loin de constituer les meilleures solutions à nos problèmes économiques. Cela comprend les politiques à l'encontre d'industries spécifiques, politiques qui sapent l'efficacité du système fiscal ou de modifications soudaines de la législation sur les entreprises sans consultations sérieuses.

Nous devrions également cesser de diaboliser les profits, ce qui devient de plus en plus courant. Nous aurons besoin d'entreprises saines et rentables pour stimuler l'expansion des investissements nécessaires à l'amélioration du niveau de vie. 

Macroéconomie

Nous devons également mettre en place une politique macroéconomique appropriée. Les environnements les plus propices à l'investissement des entreprises sont ceux où la politique permet d'obtenir une inflation faible et stable.

Pour que l'inflation soit faible et stable, deux impératifs s'imposent. Premièrement, la politique fiscale doit agir de concert avec la politique monétaire. Elles ne peuvent pas travailler à contre-courant l'une de l'autre. Deuxièmement, nous avons besoin d'une banque centrale indépendante, à l'abri des tractations politiques.

Conclusion

Alors que nous préparons une analyse complète des 21 indicateurs clés de la Coalition, nous continuons de suivre de près les données. Entretemps, nous partagerons chaque mois nos réflexions sur les avancées du Canada pour atteindre une plus grande prospérité pour tous les Canadiens, jusqu'au rapport sur le Tableau de bord de 2024.

Notre Coalition, qui représente 142 organismes membres, sait qu'il n'y a pas de réponses faciles. Les problèmes sont multiples et de longue date. Mais le Canada a aussi beaucoup à offrir en ce moment. Nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes une nation riche et prospère qui fait beaucoup de choses de la bonne façon.

Mais nous sommes également convaincus que nous pouvons faire mieux, et c'est pourquoi nous suivons l'évolution de la situation à l'aide de 21 indicateurs reconnus au niveau international. Nous suivons les chiffres de près et nous fournirons des mises à jour sur les avancées du Canada dans les mois à venir, jusqu'à la publication du Tableau de bord complet, au début de l'année prochaine.

Nous refusons d'accepter que la lenteur de la croissance soit inévitable.

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